RIMBAUD - REVEE POUR L'HIVER

Publié le 30 juin 2025 à 20:13

Poème : 

 

L’hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.

Tu fermeras l’oeil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs.

Puis tu te sentiras la joue égratignée…
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou…

Et tu me diras :  » Cherche !  » en inclinant la tête,
– Et nous prendrons du temps à trouver cette bête
– Qui voyage beaucoup…

Arthur Rimbaud

En wagon, le 7 octobre 1870

 

Commentaire : 

🎯 Introduction (orale ou écrite)

Ce poème d’Arthur Rimbaud, rédigé à 16 ans dans les Cahiers de Douai, est une miniature de tendresse, d’humour et de fantaisie sensuelle. Intitulé souvent En wagon, il mêle l’amour adolescent, l’imaginaire du voyage, et une fantaisie poétique à la fois douce et ironique. Ce petit poème de trois quatrains en octosyllabes joue avec les sens, le rythme, et l’image de l’amour farceur, tout en faisant du train un espace clos et onirique, hors du monde.

 

PROBLEMATIQUE :

Comment Rimbaud transforme-t-il une scène de voyage amoureux en un jeu poétique ?


🔍 Lecture linéaire (strophe par strophe)

🟥 Strophe 1 : Le tableau d'un cocon amoureux

« L’hiver, nous irons dans un petit wagon rose / Avec des coussins bleus. »

🔹 Le poème s’ouvre sur une projection dans l’avenir : « nous irons », futur simple → tonalité rêveuse, promesse douce.
🔹 « L’hiver » évoque la froideur du monde extérieur, mais le « petit wagon rose » et les « coussins bleus » créent un univers chaud, coloré, enfantin.
🔹 Couleurs pastel → douceur sensorielle et érotique voilée.

« Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose / Dans chaque coin moelleux. »

🔹 La phrase « nous serons bien » : simplicité presque enfantine → exprime une félicité naïve.
🔹 Métaphore : « un nid de baisers fous » → image charnelle mais tendre, à la fois sensuelle et douce.
🔹 « Chaque coin moelleux » : allitérations en m et neffet de moelleux sonore, impression d’un lieu-cocon, douillet, intime.

📝 👉 Idée principale : le train devient refuge d’amour, un lieu flottant hors du monde, à la fois sensuel et protecteur.

On peut également penser à un tableau du style rococo avec les couleurs et les thèmes galants. 

🟩 Strophe 2 : L’irruption de l’extérieur menaçant

« Tu fermeras l’œil, pour ne point voir, par la glace, / Grimacer les ombres des soirs »

🔹 « Tu fermeras l’œil » : demande douce, intime, presque maternelle. Le poète insiste sur le fait qu'avec lui, la jeune fille peut vivre sans souci. 
🔹 « la glace » = la vitre → symbolise la frontière entre intérieur protégé et extérieur menaçant.
🔹 « Grimacer les ombres » → personnification inquiétante, vision cauchemardesque.
🔹 Le monde est perçu comme hostile, déformé, grotesque.

« Ces monstruosités hargneuses, populace / De démons noirs et de loups noirs. »

🔹 Lexique violent : monstruosités, hargneuses, démons, loups noirs.
🔹 Double occurrence de « noirs » → insiste sur la peur, l’obscurité morale et sensorielle.
🔹 « Populace » : mot fort, connoté négativement, pour désigner la foule menaçante, comme dans un cauchemar.
🔹 Le dehors devient une vision hallucinée, hostile, alors que le dedans reste le refuge amoureux.

📝 👉 Idée principale : le poète oppose l’intimité du couple à l’horreur du monde extérieur, à travers une vision quasi gothique du soir.

🟦 Strophe 3 & 4 : Le jeu érotique et ludique

« Puis tu te sentiras la joue égratignée… / Un petit baiser, comme une folle araignée, / Te courra par le cou… »

🔹 Changement de ton : retour à l’intérieur, à la douceur tactile et ludique.
🔹 « la joue égratignée » → sensualité subtile, début du jeu amoureux.
🔹 Comparaison « comme une folle araignée » → image surprenante, presque enfantine, qui allie fantaisie et érotisme léger.
🔹 Le baiser devient une petite créature espiègle.

« Et tu me diras : ‘Cherche !’ en inclinant la tête, / – Et nous prendrons du temps à trouver cette bête / – Qui voyage beaucoup… »

🔹 Le dialogue s’installe : « Cherche ! » → ton coquin, complice.
🔹 « Nous prendrons du temps » → sous-entendu clairement érotique, mais suggéré avec malice et pudeur.
🔹 « cette bête / qui voyage beaucoup » → métaphore du désir amoureux, toujours en mouvement, insaisissable, jamais localisé.
🔹 Le poème s’achève sur une note légère, ironique, presque enfantine mais subtilement charnelle.

📝 👉 Idée principale : la sensualité devient jeu poétique, où le corps est paysage, le baiser animal, le désir voyageur.


🧾 Conclusion

Ce poème bref de Rimbaud mêle avec une étonnante maîtrise fantaisie, tendresse, humour et érotisme. Le train devient un espace clos, protecteur, opposé au monde noir et monstrueux du dehors. À travers un langage simple, une métrique fluide et des images à la fois douces et grinçantes, Rimbaud esquisse une scène d’amour adolescent — mi-rêvée, mi-jouée, à la fois sérieuse et facétieuse.
C’est un exemple de modernité poétique précoce, où le jeune poète invente un univers à la fois symbolique, sensoriel et libertaire.


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