Accroche : Dans Les Pensées, Pascal observe que l’homme est « un roseau pensant », capable de tout évaluer mais vulnérable dans ses certitudes. Peut-il réellement tout juger ?
Définition des termes :
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Puis-je : interroge une capacité réelle (et non seulement une permission morale).
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Tout : l’universalité, l’absolu.
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Juger : évaluer, discerner, émettre un jugement de valeur ou de vérité.
Problématisation : Si juger semble être un attribut essentiel de la raison humaine, cette puissance peut-elle vraiment s’étendre à tout ? Ou bien est-elle limitée par notre subjectivité, nos passions, ou encore l’inaccessibilité de certains domaines ?
Annonce du plan : Nous verrons d’abord en quoi le jugement semble une faculté universelle de l’homme (I. un pouvoir légitime et nécessaire), avant d’en souligner les limites objectives, morales et existentielles (II. un pouvoir partiel, limité et dangereux), pour enfin s'intéresser à la façon dont l'art nous permet d'affiner notre capacité à juger (III. l'art comme outil de préjugement)
✅ I. Un homme juge de tout
1.l’homme est naturellement un être de jugement
→ Descartes, Discours de la méthode : le bon sens (raison) est la chose du monde la mieux partagée.
📚 Ex. : En toute situation, l’homme émet un jugement (ex. : morale, beauté, justice).
3. c'est nécessaire de juger, car c’est comprendre le monde et l’habiter humainement
→ Arendt, La vie de l’esprit : juger, c’est donner du sens aux événements (ex : juger le nazisme).
📚 Ex. : Les procès (Nuremberg) montrent que juger n’est pas un luxe, mais un impératif civilisateur.
3. Le jugement rend humain : juger, c’est exercer sa liberté et sa responsabilité
→ Kant, Critique de la faculté de juger : autonomie du jugement moral.
📚 Ex. : Condamner un crime, critiquer une œuvre, est un devoir critique, non une imposition.
🚫 II. Un pouvoir limité, partiel, parfois dangereux
1. L'humain est limité : par définition il ne peut pas juger de tout
📖 Pascal, Pensées : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ».
📚 Exemple : Dans Le Procès de Kafka, le héros est jugé sans connaître son accusation : le jugement devient kafkaïen, absurde.
2. Les jugements ne peuvent pas parfois être légalement posés
Loi Gayssot - interdit de poser des jugements sur le
3. Dangereux car le jugement est souvent un masque de notre ressentiment
Nietzsche, La Généalogie de la morale : le jugement moral est souvent un mécanisme de ressentiment.
📚 Exemple : Dans Madame Bovary, le regard social juge Emma, la condamne, sans la comprendre.
🔁 III. L’art comme outil de "préjugement" : anticiper, orienter, approfondir
1. L’art précède parfois le jugement moral : il en dessine l’espace sensible
🎨 Diderot, Le Neveu de Rameau : le théâtre moral prépare l’âme à juger avant même que la raison ne tranche.
📚 Exemple : Les tragédies de Racine (Phèdre, Britannicus) font ressentir l’ambiguïté humaine et rendent le jugement plus nuancé.
➡️ Interprétation : L’art ouvre l’imaginaire et permet de suspendre la sentence morale, en éveillant l’émotion et la résonance empathique.
2. L’art développe le discernement en complexifiant nos représentations
🎨 Paul Ricoeur, La métaphore vive : le langage poétique, métaphorique, enrichit la perception et aiguise le jugement.
📚 Exemple : Le poème Le Dormeur du val (Rimbaud) bouleverse notre représentation héroïque du soldat par une image saisissante : le lecteur juge, non par concept, mais par choc esthétique.
➡️ Interprétation : L’art n’impose pas un jugement : il nous y amène, en rendant perceptible une vérité qu’un raisonnement seul ne suffirait à établir.
3. L’art révèle l’invisible, rend jugeable ce qui ne l’était pas
🎨 Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique : l’image (photo, cinéma) rend visibles les marges de l’histoire et politise notre regard.
📚 Exemple : Le film Shoah de Claude Lanzmann fait juger sans jamais montrer directement les camps, mais par le silence, les lieux, les témoignages.
➡️ Interprétation : L’art déplace le jugement de la preuve brute vers la mémoire sensible — il produit un espace de pré-jugement, au sens d’une maturation du regard.