COURS SUR "JUGER"
Le jugement est l'acte de la pensée qui affirme ou nie, et qui ainsi pose le vrai ; plus largement, c'est le point d'arrêt d'un problème, qui s'achève dans une décision. L'existence du jugement est donc au point de rencontre de multiples approches, celles de la logique, de la psychologie, ou même de la doctrine de l'activité.
le judicium est, étymologiquement, la décision judiciaire, et c'est un des aspects parmi d'autres des bases normatives du jugement : on parle du « jugement de goût », qui est le discernement des valeurs esthétiques ou culturelles, ou du jugement moral, qui est le discernement dans le domaine des mœurs.
Il convient au reste de distinguer le jugement ainsi explicité de toutes les formes implicites de l'adhésion ou du refus, ou encore des énoncés non assertifs qui expriment souhait, prière, ordre ou question.
I. Juger, c’est exercer sa raison : fondement de l’autonomie
Juger, c’est d’abord penser par soi-même : c’est l’essence même de l’esprit des Lumières.
🔹 Pour Kant, juger est une faculté essentielle de l’entendement : cela consiste à relier un particulier à un universel (Critique de la faculté de juger, 1790).
« Penser, c’est juger. »
Il distingue deux types de jugements :
⏩ Exemple : Juger qu’un acte est moral, ce n’est pas seulement constater un fait ; c’est y appliquer une maxime universelle.
⚖️ II. Juger, c’est aussi un acte moral et politique : discerner le bien et le juste
Juger, ce n’est pas qu’un acte logique : c’est un acte de responsabilité.
🔹 Dans le champ juridique, juger implique un pouvoir (celui du juge), mais aussi une lourde charge morale. Comme le dit Aristote, la justice, c’est "rendre à chacun ce qui lui est dû" (Éthique à Nicomaque).
🔹 Chez Hannah Arendt, après le procès d’Eichmann, juger devient une nécessité pour la dignité humaine :
« Le mal n’est pas radical, il est banal parce qu’il résulte d’un défaut de jugement. » (Eichmann à Jérusalem, 1963)
⚠️ Ne pas juger, c’est parfois participer au mal. Juger, c’est donc aussi résister, distinguer, dénoncer, parfois pardonner, mais toujours assumer.
En outre, le jugement exerce une fonction pratique, il termine les débats par la phase qu'on appelle décision ou résolution
🎨 III. Juger, c’est aussi goûter : la question du goût et du jugement esthétique
Le jugement ne se réduit pas à la vérité ou à la justice. Il y a aussi le jugement de goût :
🔹 Pour Kant, encore une fois, le goût est subjectif, mais prétend à l’universel :
« Est beau ce qui plaît universellement sans concept. » (Critique de la faculté de juger)
Cela signifie que même si le jugement de goût est personnel (je trouve cette musique sublime), je suppose que les autres pourraient me suivre. Cela ouvre à une forme d’inter-subjectivité, au cœur de la culture et du dialogue esthétique.
🔁 IV. Juger, c’est aussi risquer de se tromper : les limites et les abus du jugement
Juger implique une prise de position, donc aussi la possibilité d’erreur ou d’injustice.
🔹 Pour Pascal, le jugement est toujours biaisé par l’habitude, le milieu, la coutume :
« Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà. » (Pensées)
🔹 Pour Nietzsche, juger c’est imposer un cadre moral qui peut étouffer la vie : les jugements moraux sont souvent des expressions de ressentiment (cf. Généalogie de la morale).
V. le jugement reflète les valeurs
Une manière historique et positive de reconnaître la persistance et la mutation des valeurs dans les groupes humains consiste à examiner la formulation des jugements d'ordre esthétique, moral ou juridique. On a pu se proposer l'examen de la nature des « jugements de valeur », qui ne portent pas sur la corrélation ou sur le conditionnement des faits, mais plutôt qui rapportent une situation de fait à une norme ou à un ordre préétablis